LE MONDE – Des jeunes de quartiers sensibles veulent doper les inscriptions sur les listes électorales

LE MONDE – Des jeunes de quartiers sensibles veulent doper les inscriptions sur les listes électorales

LE MONDE | 21.05.2016 à 10h14 | Par Sylvia Zappi (envoyée spéciale)

« Voter ? Pour quoi faire ? » Dans les quartiers populaires, l’interrogation revient comme un boomerang à chaque fois qu’on évoque les échéances électorales. C’est parce qu’ils ne voulaient pas se résoudre à ce désintérêt massif qu’un groupe d’adolescents du Neuhof, à Strasbourg, a lancé, le 21 avril, un concours d’inscriptions sur les listes électorales. Un « challenge interquartier » qu’ils veulent national, à un an de l’élection présidentielle.

Dix-huit quartiers, souvent portés par des centres sociaux, se sont déclarés candidats à Roubaix, Allonne, Belfort, Marseille, Vénissieux ou Nanterre pour tenter de remporter le défi en mai 2017. Le secrétariat à la politique de la ville a été sollicité pour doter l’initiative d’une enveloppe financière.

« On ne voulait pas faire la leçon en culpabilisant les abstentionnistes. Alors, on a lancé ce jeu », explique Jamila Haddoum, responsable du service jeunesse au centre social et culturel du Neuhof. Lors du second tour des élections régionales de 2015, elle avait déjà essayé de mobiliser les habitants de ce secteur. Dans un clip, des enfants appelaient leurs parents à voter : « Alors, on peut compter sur vous ? ». Au premier tour, l’abstention avait dépassé les 50 %.

Cette fois, c’est un groupe d’une dizaine de jeunes dont elle s’occupe qui a eu l’idée de ce défi citoyen lancé à d’autres quartiers. « On essaie de motiver le maximum de personnes à aller s’inscrire. Pour qu’ils ne puissent plus dire que les politiques ne font rien pour les quartiers sans faire entendre leur voix », explique Nacer Khaldi, 18 ans. « C’est important pour notre avenir. Après, quand il y a des lois qui sont adoptées, ils râlent mais ne font rien quand ils peuvent voter », dit Camélia, 19 ans, en service civique.

« De toute façon, ce sera un enfoiré qui sera élu »

Ce mercredi de mai, ils sont une poignée à partir faire du porte-à-porte à « La Lyautey », une des multiples cités HLM de cet immense quartier de près 20 000 habitants. Plus de la moitié est classée prioritaire par la politique de la ville. La partie la plus populaire, appelée Neuhof-cités, dessine une géographie de la pauvreté faite de petits immeubles, de maisons, ou d’immenses barres et tours… autant de logements où cohabitent familles maghrébines ou serbes, « Gaulois » et gens du voyage. Le revenu fiscal médian atteint à peine 7 200 euros par an dans le secteur.

La première porte s’ouvre sur une jeune mère de famille, ses deux bambins dans les jambes. « Bonjour, on fait le tour du quartier pour proposer de s’inscrire sur les listes électorales. Vous êtes inscrite ? », demande Nacer. La jeune femme en jogging ne sait pas : « J’ai jamais fait. » En deux minutes, sa carte d’identité et sa facture d’EDF sont scannées, envoyées au secrétariat du centre social et le formulaire signé.

Les portes suivantes sont moins accueillantes. Les réponses sont lapidaires et les portes vite refermées. « Je suis pressée », « Pas le temps », « Ça sert à rien, à part pour les élus qui s’en mettent plein les poches ». D’autres sont plus catégoriques : « De toute façon, ce sera un enfoiré qui sera élu », rétorque un retraité, la mine fermée. Beaucoup de coups de sonnette restent sans réponse malgré les paires de chaussures alignées devant le paillasson.

Un étage plus haut, un quadragénaire au chômage est plus bavard pour expliquer son refus : « Ils te font des beaux discours mais le jour où ils sont élus, ils te la font… », assure-t-il avec un geste éloquent des deux mains. Jamila et Nacer ne se laissent pas démonter. « Vous avez l’air déçu. Et si c’est quelqu’un que vous appréciez qui se présente ? », rétorque la jeune femme. « Si tu votes pas, t’es personne », renchérit le lycéen. « Ce sont tous des pourris et puis mon vote ne pèsera rien », poursuit l’homme. La discussion dure. Les deux « démarcheurs » ne veulent pas s’avouer vaincus. « On reviendra, réfléchissez. » « Ouf, c’est chaud », soupire Nacer.

Maigre récolte

La porte suivante, une dame à l’accent alsacien s’exclame : « Voilà cinq ans que je ne vote plus parce que je n’ai pas signalé mon déménagement. Ça m’évitera de me déplacer. »

Jamila prend le relais quand une dame marocaine semble ne pas comprendre la question. « Salam aleykoum », dit-elle avant d’expliquer sa démarche dans un français mâtiné d’arabe. Plus loin, une femme portant un foulard bleu sur la tête acquiesce : « Je vais voter cette année mais c’est chiant si on vote juste dans le vide. Faut qu’il y ait des améliorations ! » Les électeurs déçus par la gauche au gouvernement sont légion dans ces HLM. « A quoi ça sert de voter socialiste, ça marche pas », note un monsieur en djellaba. Le lycéen ne sait quoi répondre et Jasmine vient à son secours : « C’est l’occasion de le crier haut et fort. Il y a tellement de gens déçus qui ne votent plus, qu’ici on ne représente plus rien ! »

Elle fait parfois fléchir les récalcitrants mais la récolte est maigre : sur les cinq immeubles sillonnés cet après-midi, huit formulaires ont été récoltés. Dimanche, un autre binôme en avait ramassé dix. Nacer veut tout de même croire que son quartier emportera le concours : « Il nous reste sept mois avant le 31 décembre. »

Sylvia Zappi (envoyée spéciale)
Journaliste au Monde

En savoir plus sur http://www.lemonde.fr/societe/article/2016/05/21/des-jeunes-de-quartiers-sensibles-veulent-doper-les-inscriptions-sur-les-listes-electorales_4923768_3224.html#EX6Z5rpQKUZcghhb.9

 

MONDE